Notes du réalisateur
Cent soixante-quinze ans. Beaucoup de temps s’est écoulé depuis la première représentation du ballet Giselle, un joyau de poésie romantique créé pour les débuts parisiens de la danseuse italienne Carlotta Grisi. Depuis, Giselle n’a jamais cessé de se transformer. Pour nous, spectateurs du XXIe siècle, il est important de garder à l’esprit un fait : aujourd’hui, Giselle n’est plus seulement l’emblème du ballet du romantisme européen du XIXe siècle, mais une danse enracinée dans le présent qui jouit d’un droit de citoyenneté mondiale.
En commandant la création aux chorégraphes Itamar Serussi Sahar et Chris Haring | Liquid Loft, respectivement engagés dans les actes I et II, le Balletto di Roma ne se limite pas à présenter une nouvelle version de Giselle qui explore encore et encore la folie amoureuse d’une jeune femme trahie par son propre idéal (Acte I) et le résultat de sa douleur se déroulant dans un autre monde (Acte II).
La Giselle que le Balletto di Roma met en scène en 2016 n’explore pas un personnage que l’on peut résumer par ses contraires, dans le contraste sacré entre la vie et la mort, mais l’expression d’un sentiment étendu et multiple qui appartient à la communauté des corps sur scène. Son identité ne s’incarne plus dans un rôle, mais agit comme une lentille à travers laquelle tout le monde observe le monde qui l’entoure. Les danseurs de la compagnie ont donc travaillé, incorporant Giselle à des improvisations, non pas comme une décomposition de son personnage en partie plus petite et individuelle, mais comme une déconstruction du récit du livret de Théophile Gautier et de ses déclinaisons portant sur les corps et les sensibilités du moment.
Le remaniement profond de la musique d’Adolphe Adam, de Richard Van Kruysdijk et d’Andreas Berger, soutient ces deux actes en plaçant la danse dans une dimension permettant à chaque spectateur de créer sa propre histoire à l’aide d’évocations rythmiques et de gestes.
Conçu par l’artiste israélien Itamar Serussi Sahar, le premier acte nous propose une chorégraphie dédiée au pouvoir physique et charnel qui émerge des corps nus de cette habitude pantomimique qui caractérise traditionnellement le premier acte de Giselle. Et pourtant, les danseurs s’offrent aux spectateurs avec une générosité compositionnelle qui leur permet de voir le sujet du spectacle plus profondément, et d’atteindre l’intention originale de leurs mouvements. L’archétype du XIXe siècle renferme la dimension terrestre, qui s’exprime ici à travers une humanité qui se laisse altérer par le réel, émue et parfois ébranlée par des impulsions vitales explorant l’espace de la scène et exprimant un sentiment d’appartenance à la vie et à la mort. Alors que la vitalité de l’Acte I tend à se diversifier parmi les danseurs, l’Acte II signé par le chorégraphe autrichien Chris Haring recouvre une dimension plus collective.
Giselle nous rappelle que, chez les humains, la mort est l’expérience la plus commune que nous partageons tous. L’hypothèse selon laquelle la vengeance est en mesure d’atténuer la douleur de la perte représente alors un dernier soupçon d’humain, une dernière chimère que la vie accorde à Giselle, avant que les corps ne se fassent face, définitivement – interrompus seulement par des incursions extrêmes de la réalité – dans une réunion dominée par une raréfaction visuelle qui s’épuise. Comme un phénix maintenant incinéré qui nous ramène à la vie, pour les artistes et le public.
Credits
Chorégraphies
Itamar Serussi Sahar
Chris Haring/Liquid Loft
Concept Development
Peggy Olislaegers
Musique originale inspirée par la partition
d’Adolphe Adam
Reprises musicales
Richard Van Kruysdijk, Andreas Berger